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ALONE OU AUTOPSIE D'UNE SOLITUDE Rédigé par Lulla Bell Publié dans #Nouvelle. Je vous présente ici ...

22 Juillet 2014 , Rédigé par Christine Domenge Publié dans #Nouvelle, #32b72ALONEAUTOPSIE

ALONE OU AUTOPSIE D'UNE SOLITUDE
Rédigé par Lulla Bell Publié dans #Nouvelle.

Je vous présente ici une nouvelle écrite en 2005. J'ai l'intention de la publier. Mais comme je suis sur un autre projet, je vous l'offre. Mais je voudrais réellement que vous me disiez ce que vous en pensez. C'est très important pour moi. N'hésitez pas, bon ou mauvais.... je ne crains rien.
"ALONE" ou Autopsie d'une solitude
Lulla Bell (Christine Domenge)
Tous droits réservés.
Création protégée #32b72

ALONE

AUTOPSIE D’UNE SOLITUDE


Je roule. 
Je l’ai laissé seul.
Dans ce train qui l’emporte à mille kilomètres de moi.
De nous.
Je fonce. Les rues sont vides.
Tôt le matin. 6 heures 56.
La voiture connaît le chemin par cœur. Je ne fais que de la figuration au volant. Elle me ramène ; je vais retrouver notre appart.
Je ne suis ni célibataire, ni veuve, ni divorcée.
Je suis mariée. Nous avons une fille, une petite ado.
J’habite le sud, mon mari travaille au nord.
Paris c’est pas le nord mais pour moi oui.
La France entière nous sépare ! C’est ce beau pays qui nous éloigne l’un de l’autre.
C’est ce beau pays qui nous déchire. Nous étions un couple uni, nous sommes un homme et une femme séparés. Notre fille avec moi. Personne avec lui. Oui, j’en suis sûre, il est seul.
Lui, c’est chambre d’hôtel la nuit, finir tard le boulot. C’est métro, manger un encas et dodo. Lever tôt. Pas de temps pour le petit déjeuner. Partir travailler. Sans bonjour, sans au revoir. Encore et toujours. Idem. Un jour de plus.
Métro boulot dodo. Un jour de trop.
Notre fille attend dans l’appartement. Elle dort. Voulait dire au revoir à son papa mais n’a pas eu le courage de se lever. 5 Heures du mat, c’est pas une heure pour les enfants !

Je me sens seule. Je suis.
Alone, il est.

Je n’aime pas les au revoir sur les quais de gare.
Les trains m’angoissent. 
Je pense à ces milliers d’innocents déportés dans des wagons à bestiaux, entassés les uns sur les autres, écrasés entre eux, étouffés les uns par les autres. Innocents. Hommes, femmes, enfants. Innocents.
Je n’aime pas les trains.
J’ai peur de l’aller simple.
NO RETURN.

Mon mari s’est installé voiture 16 place 36 côté fenêtre, en sens inverse de la marche. Il déteste. Le train va de l’avant et lui est tourné vers ce qu’il quitte. Me tourner le dos de suite serait plus simple, plus radical.
Il voit défiler les morceaux de sa vie, de notre vie, les paysages, les villages, ses points de repère.
Il tourne le dos à tout à l’heure.
Dans cinq heures et quart il sera à Paris. Il a tout le temps de lui faire face. Terminus gare de Lyon.
Je ne l’ai pas regardé partir. Talons tournés, cœur retourné, yeux embués, j’ai pris le passage souterrain pour regagner le hall de gare.
Puis parking, voiture.
ENVIE D’UNE CLOPE POUR CALMER MON ANGOISSE.
Plus le droit de fumer !
Est-ce que la mort par la fumette est plus rapide que par le mal d’amour ? Parce que j’ai mal d’amour, là, tout de suite.
Mon immeuble est là, ma place de parking. Immuable.
Je monte direct troisième étage, porte treize. Porte bonheur ?
J’aurais du passer à la boulangerie avant. Tant pis, ma fille ira chercher le pain tout à l’heure. Pour l’instant, elle dort comme un bébé. La joue qui a reçu le bisou du papa repose sur l’oreiller. Elle le décalque dès qu’elle le peut. Oreiller à baisers…
Sur mon visage une larme, sur le sien un bisou. Que la vie lui garde encore longtemps l’innocence de ses douze ans.

« Un jour tu rentreras chez toi et ta fille aura dix-huit ans. Dans ta tête, elle en aura douze. Tu ne l’auras pas vue grandir, tu n’auras rien vu. ».
La phrase qui tue. Mon mari se l’est prise en pleine tronche il y deux jours. Elle n’est pas de moi. C’est un de ses collègues qui la lui a balancée.
« Ta femme aura cinquante ans moins deux et toi quarante-six plus six. ». Ça c’est de moi. Énorme !
Frissons. Je bois un café. Pas de bruit. Calme parfait. La vie est parfois aussi silencieuse que la mort…
J’ai la chance de vivre ici, à deux pas de la montagne. Je n’ai pas le droit d’y aller à cause de ma santé. A deux pas de la mer, mais à quoi ça sert ? Fait pas toujours beau dans notre midi, et quand le temps est propice à la baignade, les plages et les parkings sont envahis. Les touristes nous volent notre bien-être, pour l’intérêt commercial de notre région bien entendu.
Les travailleurs parisiens descendent dans le midi passer les vacances d’été tandis que les chômeurs roussillonnais montent à Paris pour travailler, parfois pour seulement un mois ou deux ! Quelle logique !

Mon mari appellera ce soir. On se dira qu’on s’aime. Et bonsoir.
Il rappellera demain et tous les autres soirs, vers 22 heures, à son retour à l’hôtel.
Peut-être m’annoncera-t-il qu’il pourra rentrer un jour et demi le prochain weekend ?
Notre fille lui dira combien il lui manque. Son papa !!! Elle lui posera la question. Mille et mille et une fois « Quand rentreras-tu papa ? ».
Répondra « bientôt ». Il verra. C’est pas lui qui décide, faut voir ailleurs. Dans les hautes sphères. Respecter la hiérarchie.
Dis, quand reviendras-tu ? Dis, au moins le sais-tu ?
Barbara chante sur la platine CD. Camille aussi : elle prend ma douleur ; elle le dit, j’y crois deux minutes et demi. Elle me chante ce que je dois faire : je me lève, c’est décidé, je la laisse me remplacer, elle va prendre ma douleur.
Puis, d’un coup, sans que je m’y attende, elle me balance en plein cœur « Pour que l’amour me quitte » avec son cœur à elle, si mal accroché/décroché ! Benjamin Biolay enfonce le clou en m’informant qu’à l’origine nous n’étions pas des sauvages. Je voudrais tant qu’il ait raison ! Biolay, sais-tu que notre liberté de vie a été violée ? L’humain n’est plus ce qu’il était. L’adjectif ‘’ humain’’ ne sied plus à tout le monde.
Saint-Preux m’assomme avec son concerto pour une voix. 
Alors… Je file dans mon lit, m’allonge à la place de mon mari. Je me finis sur « comme un interdit » de Christophe.
J’ai mal de lui, de toi mon chéri. Je me fais mal. Mes mains, mes doigts… Plaisir solitaire, éperdue, les yeux dans le vide, je cherche, te cherche, l’étincelle viendra-t-elle ? Une petite étincelle… Étincelle.
Lumière du jour à travers les persiennes. Je pleure.
Je t’ai fait l’amour. Pardonne-moi, j’aurais du t’avertir, te demander l’autorisation.
Je ne sais pas vivre seule.
ALONE

Cinq heures du mat. Tous les jours mes yeux s’ouvrent à la même heure. Deux horloges.
A quelle heure te lèves-tu là-bas ? A la même heure me répondras-tu plus tard.
KO. Pourtant je ne me rendors pas. J’attends. Dans notre lit deux places la tienne est vide.
Parfois notre enfant s’y installe, l’occupe pour une nuit ou deux. Ça ne me gêne pas mais ce n’est pas sa place. Elle ne te remplace pas.
Six heures. Une heure les yeux clos à essayer de faire le vide derrière mes paupières. Mais les images défilent et je ne vois que toi. Les idées fusent, comment te rejoindre, des envies… carré blanc, attention les enfants regardent. J’ai froid en été par 30°. Il me faut tes bras, je me contente du drap. Contente ?
Encore nuit dehors. C’est mon heure. Je vampirise l’obscurité par mon absolu besoin d’une présence. Ma vie cannibale s’affame de toi. Aussi t’affame. Ta femme se meurt de faim.
C’est mon heure. Filer à la cuisine et prendre mon café seule. Ta pensée m’accompagne ; je te dis bonjour, comment ça va ; moi c’est moyen mais je fais avec.
J’aime ce café chaud à cet instant encore frais de la vie. L’aurore. Encore tant de gens endormis.
Volets ouverts, la ville engourdie laisse filtrer le ronronnement de quelques moteurs de voitures au loin. Des lumières s’allument dans les immeubles voisins, la vie reprend. Les étoiles, dans leur drap de satin noir, accompagnent l’aurore pour un jour nouveau. 
Etre une femme boréale aux couleurs psychédéliques dans un matin au bout de la nuit comme je l’étais avec toi aux heures bleues parfumées d’arabica et de volutes de Senior Service.
Clope en tête, toujours.
Je passe régulièrement devant le tabac. Je pourrais m’y arrêter. Je demanderais un paquet des plus légères et fines des cigarettes qu’ils ont en vente. Pour avoir l’air moins con, je préciserais que je ne sais pas quoi fumer pour pas mourir trop tôt. J’ai déjà une maladie orpheline qui me condamne à mort, je ne veux pas me retrouver en plus avec un cancer à cause du tabac ! Puisque fumer tue. Puisque ma maladie tue. Association de deux malfaiteurs, ça réduit de combien de temps mon espérance de vie ?
Je commencerais par une cigarette par jour, bonne résolution. La cigarette après l’amour…, y’a pas l’amour. La clope avec mon café de midi. Raisonnable. Pas fumer dès le matin.
Puis je peux me restreindre à deux par jour. C’est bien deux par jour. Juste ce qu’il faut pour me dé frustrer. Pas assez pour me flinguer. Je crois.
Il y a trois ans, on me donnait deux années à vivre. Un an après, j’étais condamnée. Maximum six mois à survivre avec un traitement de fou. Mais il y avait la promesse d’une greffe cœur-poumon plus tard dans les six mois à venir. J’ai vécu un an et demi avec une perfusion permanente sur moi. Branchée à la pompe 24h/24. Pas de répit. Le temps passait. « Christine, ne vois-tu rien venir ? » Non, pas de greffe à l’horizon. Pourquoi ? Pas de donneur. C’est un fait. Mais la promesse de l’intervention chirurgicale salvatrice n’était en fait qu’un leurre pour me faire accepter la thérapie. On m’a vite fait comprendre que cette dernière était installée à vie, si l’on peut parler ainsi d’une existence incertaine à une personne de toutes façons condamnée. Pour toujours, un corps pour lequel je n’éprouvais plus que dégoût. Pour toujours avec ce moi qui me regardait dans le miroir comme une étrangère. C’était insupportable, inimaginable. Je ne pourrais pas, je le savais. Au lieu de me sauver, les chirurgiens me mettaient à l’agonie. La pneumologue a compris que ce traitement trop lourd, physiquement et psychologiquement, me tuerait plus vite car je ne le tolérais pas. J’aurais tout coupé : la perf et tous les autres médocs qui me maintenaient dans un état de non-femme. Alors elle m’a parlé, elle m’a proposé autre chose. Bithérapie. Nouveau traitement par voix orale. Essai. Cobaye ? La souris a tenu le coup, ça marche. Pour l’instant, ça marche…

A présent on n’estime plus mon espérance de vie. Plus de chiffre. On ne se mouille plus. On m’averti, c’est sans doute momentané : Ne pas se faire d’illusion, ne pas crier au miracle. Ma maladie ne se soigne pas. On traite le patient afin qu’il ressente moins les douleurs, l’essoufflement, pour lui apporter un confort. Ne pas trop souffrir, vivre à peu près correctement. Crever sans s’en rendre compte, du moins pas tout de suite. Quand tout deviendra intolérable : la difficulté de respirer, de fournir l’effort pour se déplacer, s’alimenter, quand tout ne pourra plus se dérouler sans assistance respiratoire, sans l’oxygène jour et nuit, sans, en dernier lieu, le respirateur artificiel, le patient aura assez de temps pour réaliser que le mal a fait son chemin et qu’il est temps de lâcher prise. Le gros travail de prévention a été fait. Je sais qu’un jour il faudra avoir recours à une thérapeutique plus efficace mais que cette dernière n’existe pas encore. Mais pour moi le traitement actuel doit rester définitif. Dans ma tête tout est bien calculé. Ne plus rien essayer si c’est pour me rentrer des tuyaux dans le corps et me rendre inhumaine.
Stabilité. Stand bye. La maladie hiberne. Moi j’ai mon été et mon printemps. La case hiver je la zappe comme je peux. Emmitouflée sous des pulls tricotés mains, un kilo la pièce, je superpose. Mes pieds dans des bottes fourrées. Mains dans gants de soie et moufles de randonneurs. L’esquimau de la maison sort rarement de son igloo.
Il faut réfléchir un peu. Fumer tue. La vache folle tue. La pneumonie atypique, la grippe tue. A présent ce sont les volailles qui peuvent nous disséminer. 
La route, la rue, le chat du voisin qui a bouffé un oiseau atteint de la grippe aviaire. Même les œufs, on ne sait pas. Si on part du principe de celui qui est arrivé le premier : la poule ou l’œuf, pourquoi ce dernier ne serait-il pas lui non plus toxique ?
Séisme, tsunami, incendie, inondation, pollution. Cancer, sida, rupture d’anévrisme, crise cardiaque… J’en passe. Passez avec moi, c’est un conseil d’amie.

Je regarde le temps couler. Ça m’occupe ; chaque heure j’attends l’heure suivante. Occupation comme une autre, surtout quand il n’ y a pas l’autre. Ainsi de suite jusqu'au soir.
Parfois, dans la journée, je mange. Parfois même je bois, un verre de vin par ci, un apéro par là ; Parfois je bois trop.
Moi, café / vin / apéro. Lui Métro / boulot / dodo. Notre fille : Vacances / copines / loisirs. Son papa lui manque mais pas assez de temps pour y penser. Mon amour me manque et trop de temps pour y penser.
L’enfant, en véritable acrobate, traverse ce passage en funambule. Elle ne tombe pas, ne faillit pas. Parfois hésite. Flot de larmes, questions. Je fais les réponses, j’adapte, j’embellis, je rends la situation plus facile. Dédramatise. Tu as douze ans ma belle. A ton âge on avance. On ne s’arrête pas en chemin surtout pas à cause des problèmes des adultes, surtout lorsque tout ne tient qu’à un fil. Un pas de plus. Jusqu'au bout elle ira. Un fil d’Ariane elle tendra, comme le petit Poucet avec ses cailloux blancs, elle nous montrera le chemin. Elle est le chemin.
Je la suis. Viens chéri, je t’emmène avec nous.

Samedi 21H20 : Mon mari m’annonce qu’il a su trop tard qu’il avait dimanche et lundi de récupération. Les billets réservés d’avance ont été automatiquement annulés parce qu’ils n’ont pas été retirés à la gare au plus tard une demie heure avant le départ du train. Au téléphone, il est énervé, speed et me demande de trouver une solution car lui n’a plus assez de batterie sur son portable pour joindre le service réservations SNCF qui ferme à 22H00. 
Je téléphone aux réservations pour trouver un autre départ dans la nuit. Rien. Une place Dimanche matin en TGV mais uniquement en première classe, le double du prix habituel. Nous n’avons pas les moyens. Faut-il en conclure que nous n’avons pas la classe ?
J’ai dix minutes pour confirmer si je veux la place de train.
Mon époux reste injoignable. Portable déchargé. Ma batterie « patience » idem. Panique.
Je crise à mort. Angoisse. Me taper la tête contre les murs. Ma fille veut me calmer, je la jette. Peut rien faire pour moi. Incontrôlable. Pourquoi tant de souffrance tout à coup ?
Je dois négocier seule mon retour au calme. Je prends 10 gouttes de Fleur du Bach « rescue », homéopathie. Bizarrement, c’est le seul traitement du genre homéo qui me soit efficace. 
Lorsque, enfin, je parviens à joindre mon chéri, le calme est revenu des deux côtés. Plutôt que de se prendre la tête, on se fait à l’idée que rester à Paris est plus raisonnable financièrement. Quoi que… Tout dépend ce que l’on fait. Il est vrai que rester enfermer dans une chambre d’hôtel en bouffant un sandwich ou une salade, on peut sans risque confirmer que c’est plus économique ; A 36 euros la nuit et environ 6 à 8 euros de repas par jour, ceci multiplié par deux on reste gagnant par rapport à un aller Paris/Perpignan TGV 1ère classe. Sans compter le retour cela va de soi.
Il râle un peu, c’est dur pour lui. Et nous donc ! J’avais prévu de lui cuisiner de bons petits plats, histoire de varier son alimentation essentiellement hypocalorique, hypoglycémique, hypotensionique, hypo tout. Il dit qu’il va se reposer. Dormir un max. A force de se coucher vers minuit et de se lever à 5h30 le matin, il a bien besoin d’une grasse matinée. Je réponds que je l’appellerai dès qu’il me fera signe sur mon portable. Deux sonneries, je saurai que c’est lui.
Surtout ne pas le déranger.
On se quitte sur des je t’aime, on pense à toi. Faute de chabadabada.
Ma nuit est une horreur. Blanche. Yeux ouverts. Mal au ventre. Nausées. Migraine atroce. Je me lève à six heures du matin. Tant de maux ! J’avale motilium et spasfon pour le ventre et mes médocs pour le cœur et les poumons. Café noir.
Retour au lit. La douleur se calme à peine, la migraine empire. A sept heures, je n’en peux plus. Retour cuisine. Re-café noir plus deux proprofan. Je ne dormirai plus aujourd’hui. Trop de caféine.
Je bidouille sur l’ordinateur pour passer outre ce qui me ravage l’intérieur. Je bidouille quoi ? Ce n’importe quoi que je vous écris-là, sur ma vie.
Tous ces mots que je tape. Tant de mots pour qui ? Pourquoi ?
Tant de maux à guérir. Comment ?
Débit de parole vertigineux à saouler le premier ou la première venue qui accepterait de m’écouter. Personne en face.
Je ne sais que penser : Tant pis ou tant mieux. Je joue à pile ou face. C’est face qui gagne. Je ne montrerai donc que mon côté sympa et angélique. Mais, côté pile ?
Côté pile, toutes ses fausse amitiés qui sont sorties à jamais de ma vie. La confiance abusée. Les espoirs déçus. Des gens qui disaient m’aimer, qui se proclamaient amis pour la vie. Des proches aussi.
L’homme se craie des affinités avec ceux qui lui ressemblent. Des tribus de clones. 
Sortis du lot, pas de place pour les différences.
« A l’origine, nous n’étions pas des sauvages. » Benjamin Biolay.

Les jours suivants c’est toujours fatigue intense. C’est toujours réveillée à cinq heure du mat avec mon mal au bide, ma douleur dedans. Extirper ce mal. Maléfice. On m’a jeté le mauvais œil. Mon corps est dans cet état parce que ma tête souffre. Idées noires. Problèmes sans solutions. Questions, points d’interrogation. Trop d’interrogations. Les réponses existent, je ne les trouve pas. Elles sont à mille kilomètres de moi. 
Mes réponses en lettres CAPITALES.

Notre fille est malade. T’inquiète pas chéri, je la soigne bien. Nous sommes deux à baffrer des médocs. Nous passons nos journées enfermées à la maison. Plein été. Pourtant, cloîtrées comme deux nones. Maison monastère. L’enfant voudrait sortir un peu, aller voir ses copines. En Mère supérieure, je garde ma novice encouvennée dans nos quatre pièces. Ma couvée est en danger. Je suis mère poule.
Ma fille songe à aller passer trois jours chez mes parents. Quant à moi, je ne songe plus. Je ne pense plus. 
Même plus au sexe.
Pourtant, l’amour physique m’obsédait. Cette envie du corps de mon homme, si forte, si contenue, si impatiente qu’elle me rendait hargneuse, chienne. Cette envie qui, telle la lanière d’un fouet, me lacérait le bas ventre lorsque je voulais faire l’amour et qu’il ne voulait pas. Parce que l’absence d’une vie professionnelle, d’une reconnaissance sociale vous coupe toute libido, tout désir sauf celui de disparaître. Le travail c’est offert à mon époux comme une femme. Une telle ouverture ne se refuse pas. Je voudrais tant qu’il y prenne du plaisir !
Le sexe n’est plus dans mon actualité.
Du light dans ma vie intime. L’amour est en crypté, je n’ai pas de décodeur.
Mon sexe ne sert qu’à assurer les fonctions physiologiques qu’il est censé exécuter. Y a peu de fonctions chez moi : Plus d’utérus depuis huit ans, plus de règles, plus d’ovaire gauche, plus de col d’utérus.
Quelques questions brûlent les lèvres. Est-ce que je pense à l’amour ? Affirmatif, quand je vois mon mari. Est-ce que je baise ? Négatif.
Et ça fait quoi ?
Une blessure, quelque part dans le creux du ventre et des reins. Et dans la poitrine, le même vide qu’entre les jambes que rien ne vient combler. Les « je t’aime » ? Des mots qui se brûlent à la flamme de ma passion dévorante. Mais tant que durera la flamme…
Plus faim, plus envie. Plus de sentiments presque. Je réalise à quel point je deviens froide et aigrie. Contrairement à l’expression, un bâton dans le cul me décoincerait.
Lorsque je vois ma fille si belle, de l’amour plein le cœur et les bras, ses bras qui s’accrochent à moi et m’enlacent, cet être qui réclame ce que je ne sais plus lui donner. Je me demande vraiment ce que la vie a fait de moi. Un truc énorme m’est tombé dessus. Quelque chose d’insurmontable. Une souffrance, une injustice. Une sentence qui n’a pas attendu la plaidoirie de la défense. Etait-ce seulement défendable ? Sur qui rejeter la faute ? A pas de chance.
J’aime ma fille, j’aime mon homme, mais je ne leur donne rien. Qu’ai-je à donner ?
J’ai usé ma vie à courir après un idéal qui n’existe pas, après un passé que je voulais changer. Je ne rattraperai rien. Le temps m’a dépassé, tout comme ma fille. Je ne suis plus de taille. Petite, tassée, replié sur moi-même. Étriquée comme mon ambition. 
Quelle ambition ? Je voulais être quelqu'un. Connue et reconnue. Je voulais être une artiste. Actrice, chanteuse, peintre, auteur… ETRE ! Une personne merveilleuse, exceptionnelle, irremplaçable.
Je ne suis qu’une poussière, même pas d’étoile…


Vendredi. Je viens de déposer ma fille chez mes parents pour je ne sais combien de jours. J’appréhende de la laisser. Je n’ai aucune crainte envers mes parents, je leur fais entièrement confiance, ils ont l’habitude de s’occuper des enfants. Ma fille n’a jamais été bien ailleurs qu’auprès de nous. Un manque énorme s’est creusé en elle lorsque, pour soigner son asthme important, nous l’avons faite soigner en centre spécialisé pour les maladies respiratoires. Elle était à la montagne, toute l’année. Je restais quand je pouvais. L’argent ne tombait pas des nues et rester près d’elle revenait très cher. Elle en a énormément souffert. Deux ans ainsi et nous nous sommes retrouvés avec une enfant dépressive. Depuis, elle n’a plus jamais voulu nous quitter la nuit, même pour aller dans la famille. Mais en grandissant, cela va mieux. 

Je me retrouve seule pour le week-end. J’ai été invitée un peu partout dans la famille mais j’ai tout décliné. Pas envie.
A l’intérieur de mon corps, c’est la vraie compote. Déconfiture. Je suis déconfite. Je pense que je suis réellement malade. Si je mange, je me vide aussitôt. Je n’ai pas faim, alors j’ingurgite le minimum. Mais même ce minimum est intolérable. Je ne tolère rien. Mes kilos fondent. Je voulais mincir mais pas de cette manière. J’étais à 49 kilos, j’en suis à 45.
Le soir, je papote un peu au téléphone avec mon cher et tendre. Pas très longtemps car il rentre tard du boulot et il est crevé. Il va venir dans la semaine. On fera le point. Surtout financièrement. Son compte s’assèche et le mien voit rouge. On n’y arrive plus. Il ne mange plus que pour 4 à 5 euros. On a quoi à ce prix la ? Je reste dubitative. Je ne veux pas qu’il se prive ainsi.
Sans ma fille, tout est différent même si dans le fond rien ne change vraiment.
Je m’ennuie mais à mon rythme, je m’angoisse sans qu’elle ait à me supporter. Je pleure. Les larmes arrivent par flots. Je ne retiens rien. Personne ne me voit. C’est une vraie liberté que de pouvoir pleurer sans devoir se justifier auprès des autres.
Je m’interroge. Je ne sais même pas ce qui me fait pleurer. Une pensée, une peur soudaine, la tournure qu’a pris ma vie de couple ? 
Je pense que c’est grave. Ce qui m’arrive est vraiment inquiétant mais je ne sais pas exactement de quoi m’inquiéter.
Se ressaisir. Continuer ainsi est impossible.
Samedi je décide de changer. De bonnes initiatives. D'abord, passage obligé, le maquillage. J’hésite. A quoi cela va me servir ? Pour aller faire des courses au supermarché ! Pas envie de bouger. Mais le frigo est vide comme mon ventre. Si mon mari vient, il faut faire des courses.
Force-toi. J’y vais.
Je passe deux heures dans la galerie marchande avant d’attaquer les rayons alimentaires du supermarché. J’achète de quoi cuisiner quelques petits plats. Je finis chez ma belle-mère. Nous parlons chiffons, laine, tricot, des conversations qui, parfois, me donnaient la gerbe. Mais aujourd’hui, ça ne m’ennuie même pas. Sérieusement, je suis en danger ! Je tourne à l’envers.
Lorsque je rentre chez moi, il est 19 heures. Le temps a passé. Positif.
Le soir je téléphone à ma fille puis à mon mari. Via le net, j’ai trouvé les coordonnées de personnes qui cherchent des colocataires vers son lieu de travail. Rassurant.

Le dimanche je me lève patraque. De plus en plus chaque jour. Mon poids m’échappe, j’en suis à 44 kilos. Je ne m’en étonne plus. Sur la balance, je ris nerveusement. Je pense à la pesée des filles anorexiques dans les hôpitaux. A vingt et un an, j’étais tombée à trente huit kilos. On m’a récupérée, engraissée, ravalé la façade, remise en jambe. Parce que je l’ai bien voulu. Parce que crever de faim n’est pas ma tasse de thé, j’aime la nourriture. J’ai eu d’autres occasions pour côtoyer la mort. Je la connais assez bien à présent pour ne plus avoir envie de jouer avec elle.
Je vais chercher ma fille. Déjeuner avec mes parents. Une paella. Un vrai repas enfin. Cela faisait longtemps ! Nous rentrons à l’appartement vers dix-sept heures.

Mon époux revient pour deux jours, mardi et mercredi. Je vis dans l’attente.
Quand il arrive, je le trouve amaigri, fatigué. Il me trouve idem.
Ces deux jours passent vite. Trop vite. Putain de temps ! J’oublie mes maux de ventre. J’ai toujours la nausée. On prend des rendez-vous pour les colocations. Deux dans les prochains jours. Motivés. Ca va marcher.
Le jeudi matin, je le quitte à 6H54 sur le quai de gare. Je suis une habituée de ses départs à présent. Peut-on s’habituer au départ des gens que l’on aime ? Je ne crois pas mais on fait comme si… pas envie de pleurer, comme si, pas grave, on se revoit bientôt, ce n’est pas la fin du monde. Toujours comme si. Toujours du paraître. Pourquoi pas gueuler que j’en ai marre, que j’en peux plus. Je veux que ça s’arrête. Crier très fort. Hurler un « Stop » à faire trembler la terre entière.
Je le regarde partir. J’ai un geste de la main étrange : je l’ouvre grand et la referme aussitôt comme si je m’emparais de quelque chose et que je l’empêche de m’échapper. C’est son image que j’ai dans le creux de ma paume. Je sais qu’il ne devrait pas pouvoir revenir d’aussi tôt. Des semaines, des mois peut-être. Mon au revoir était un signe d’adieu. Je le ressens ainsi. Ce n’est pas lui qui part, c’est moi. Ma vie fout le camp. J’ai essayé de lui voler un peu de la sienne pour m’aider à continuer. Pourquoi ces foutus pressentiments qui s’avèrent toujours vrais, du moins annonciateurs ?
J’ignore qu’en moi quelque chose casse.
Je tourne les talons.
Je tourne les yeux vers l’avenir. Pas de sourire.
Rien ne m’interpelle. Des lendemains à la pelle. Mon mari qui m’appelle. Sa routine s’ensuit, la mienne aussi.
L’espoir me fuit. La course poursuite que j’ai entreprise pour rattraper tout ce qui fout le camps de ma vie me détruit.
Usée. L’amour se flétrit dans la chaleur moite de l’été qui se meurt. L’amour se transit dans l’hiver rigoureux de mon corps esseulé. Le froid. Je n’ai plus que la peau sur les os.
Des bras pour m’enlacer. Me serrer. 
Des mots doux à me susurrer. Me rassurer.
L’avenir appartient aux audacieux, aux ambitieux. A mon mari.
Je stagne. J’ai perdu mes ambitions en même temps que ma santé. J’ai gagné en humilité mais cela ne me sert à rien.
L’audace est l’apanage des gens qui sont sûrs d’eux. Je ne suis sûre de rien, même pas de ma viabilité.
Je complique tout. Il parait. C’est ce qu’on dit.
Ma fille est encore en vacances. Je suis libre, tranquille. Les journées sont cool. Mon mari a un boulot. Il se débrouille. Il a toujours su se débrouiller seul, alors pourquoi se soucier ? Ce n’est plus un gamin. Tout roule. Mais ce n’est qu’une apparence. Comme un voile de blush sur un visage trop pâle.
Tout le monde grandit. Pas moi. C’est moi l’enfant à la maison.
C’est vrai que tout cela parait facile et simple.
Je complique tout.
La torture psychologique que je m’inflige est ma spécialité. Le soir je prie, la journée je fais pénitence. J’ai décidé de souffrir. Souffrir de cette vie.
La vie fait mal. C’est ma seule certitude.
Tous les instants de bonheur qui me sont proposés ne sont que carotte pour faire avancer la bourrique que je suis. Pour ne pas que je m’arrête en route.
Je pense qu’il serait plus simple de m’arrêter puisque je n’en peux plus, je n’en veux plus.
Mais…. Je complique tout.
J’ignore ce qui s’est cassé en moi : Un lien, un sentiment, une artère ?
Inspire…. Expire.
Je suis encore en vie ! Pas pour longtemps.... 
Ce sont des choses que l'on ressent. L'essence me quitte, elle s'écoule et va enflammer mon cœur et mes poumons.
Bientôt les mots tomberont, la sentence comme un couperet : "Condamnée".
Mais en attendant je suis là.
Mais tellement seule dedans.

Alone.

Lulla Bell
FIN

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94 016 personnes atteintes

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